La distance de 49 km qui séparait Beyrouth de Sidon, une des villes importantes dans le sud du Liban, n’empêchait pas mes parents de passer toutes les fins de semaine estivales chez mon oncle et sa famille. C’était un périple qui me faisait rêver; je contemplais les vagues, les immeubles et les nuages qui cascadaient sur la vitre sur laquelle je m’accoudais et me fixais les yeux. Je flânais.

Nous étions neuf enfants en tout; mes quatre frères, une jeune cousine et trois cousins. Les vacances nous dictaient des journées alternées entre la plage et les champs de citronniers qui embaumaient l’intérieur et l’extérieur de la maison.
Le jour, nous nous évadions partout comme des écureuils. Le soir, nous nous rassemblions devant la télévision et regardions nos émissions préférées. Lorsque l’odeur du citron s’intensifiait, elle m’interpelait. Je me retirais et m’infiltrais dans la cuisine où ma mère et ma tante coupaient les citrons avec les pelures, sans pitié. Ensuite, elles les saupoudraient de sucre blanc, comme l’on mettait du sel sur une blessure. D’un geste brusque, elles aspergeaient le tout de l’essence fleurs d’oranger concentrée et faite maison, par mes grands-parents. J’imaginais comment le jus de citron subsistait de son hémorragie et se faufilait en suçant suavement le sucre et la fleur d’oranger de ma grand-mère.
Je posais, à chaque fois, les mêmes questions. Ma mère et ma tante répétaient la même réponse: nous les placerons dans le réfrigérateur toute la nuit. Le matin, on y ajoutera de l’eau purifiée. Elle devient une limonade et vous en aurez au déjeuner ou après le dîner.

Tout ce processus me fascinait; l’odeur du citron, les causeries et les chuchoteries de ma mère et ma tante, en retrait dans la cuisine, le rassemblement des parents et des cousins dans la salle de séjour, sur la terrasse ou dans le jardin. Jadis, nous étions une famille et nous buvions la même limonade.

***Leila Gorguis***